En 1945, un pouvoir inédit est accordé au Secrétaire général des Nations Unies : signaler au Conseil de sécurité toute situation susceptible de menacer la paix. Cette prérogative, rarement invoquée dans l’histoire de l’organisation, place l’initiative diplomatique entre les mains d’un fonctionnaire international, en marge des États membres.
Dès lors, la frontière entre la souveraineté des États et la capacité d’intervention collective s’est déplacée. Quand l’article 99 entre en scène, il expose les tensions et fait apparaître, sans fard, l’étendue, mais aussi les limites, du pouvoir du Secrétaire général face aux secousses du monde.
Pourquoi l’article 99 occupe une place singulière dans la Charte des Nations unies
L’article 99 de la charte des Nations unies tranche nettement dans la diplomatie internationale. Ce texte confie au secrétaire général un droit rare : celui de mettre le Conseil de sécurité face à ses responsabilités, dès qu’un trouble menace la paix, sans qu’aucun État n’ait à demander, ni à autoriser quoi que ce soit. Derrière cette innovation de 1945, les fondateurs de la Charte ont anticipé les blocages d’un système trop dépendant des volontés étatiques. Le chapitre VII ouvre donc une brèche : permettre à un acteur institutionnel d’agir, même si les gouvernements s’enlisent ou préfèrent détourner le regard.
Peu d’articles de la Charte de l’ONU accordent autant d’initiative à un haut fonctionnaire. Le secrétaire général n’endosse pas le drapeau d’un pays. Il devient, l’espace d’un instant, la voix propre de l’organisation. À travers l’article 99, l’ONU se donne le rôle de sentinelle, parfois encombrant mais vital, qui déjoue les jeux d’appareil nationaux pour alerter sans détour. Un tel acte ne passe jamais inaperçu : chaque gouvernement jauge alors l’impact d’une telle initiative sur ses positions ou ses alliances.
Voici ce que prévoit concrètement ce dispositif :
- Prérogative d’alerte : le secrétaire général transmet directement au Conseil de sécurité les menaces émergentes.
- Résolution du Conseil : toute décision prise à l’issue de cette procédure est transmise par le secrétaire général aux États membres.
L’article 99 prend toute sa mesure lorsqu’il fait remonter à la surface des crises ignorées, ou sort des impasses diplomatiques. Il peut révéler la capacité collective à agir, ou, à l’inverse, mettre en lumière les blocages qui paralysent la défense de la paix et de la sécurité. Ce levier institutionnel a été pensé comme une protection contre la fragmentation du système international.
Quels sont les pouvoirs conférés au Secrétaire général par l’article 99 ?
Grâce à l’article 99 de la charte des Nations unies, le secrétaire général détient un rôle d’alerte unique au sein de la gouvernance mondiale. Ce droit lui permet de porter à l’attention du Conseil de sécurité toute menace qui pèse, selon son appréciation, sur la paix et la sécurité internationales. Nul besoin d’attendre qu’un État s’exprime ou qu’un vote l’y autorise : l’action peut être immédiate, indépendante, et parfois dérangeante pour les chancelleries. À cet instant, le secrétaire général se fait moteur du débat diplomatique, bien au-delà d’une fonction de représentation.
Dans les faits, cela se traduit par l’envoi d’une lettre officielle au président du Conseil de sécurité ou une déclaration publique. Le secrétaire général s’appuie alors sur les informations recueillies par les équipes de l’organisation, ses envoyés spéciaux ou ses missions sur le terrain. Ce mécanisme peut forcer la tenue d’une réunion du Conseil de sécurité, même si certains membres permanents rechignent à inscrire une crise à l’ordre du jour.
Concrètement, voici comment ce pouvoir s’exerce :
- Transmettre l’urgence : le secrétaire général peut faire circuler, sans passer par les filtres habituels, des informations sensibles ou des signaux faibles, contournant la diplomatie d’État.
- Recommander une action : il peut, dans certains cas, avancer des pistes de solutions concrètes ou proposer des médiations.
- Assurer la diffusion : toute résolution prise à la suite de son signalement est diffusée, via le secrétariat, à l’ensemble des États membres.
Le recours à l’article 99 reste exceptionnel. Mais chaque fois qu’il est enclenché, il rappelle que le secrétariat, loin d’être un simple rouage administratif, peut prendre la main lorsque le Conseil de sécurité s’enlise. Ce droit d’alerte place le secrétaire général à l’intersection de la veille institutionnelle et du sursaut collectif.
Exemples marquants d’utilisation de l’article 99 dans l’histoire des Nations unies
Quelques épisodes majeurs ont illustré la portée de l’article 99 de la charte des Nations unies. Chaque activation a marqué l’histoire de l’institution. En 1960, face à la crise congolaise, Dag Hammarskjöld s’en empare. Devant le risque d’effondrement total de l’ordre public, il saisit le Conseil de sécurité : l’ONU se déploie alors au Congo, illustrant sa capacité à intervenir en dehors du bon vouloir des puissances.
Un autre exemple frappe les esprits : lors de l’offensive Israël-Hamas à Gaza, le secrétaire général interpelle le Conseil sur le risque d’effondrement de l’ordre public à Gaza et l’aggravation de la crise humanitaire. Cette prise de parole, rare et solennelle, a replacé l’article 99 au cœur de l’actualité. Elle rappelle que la Charte de l’ONU n’est pas un texte figé, mais un instrument d’alerte et de réaction rapide.
L’activation de l’article 99 ne provoque pas automatiquement une intervention du Conseil. Mais elle oblige le débat, fait tomber les masques diplomatiques et met les risques de rupture de la paix sur la place publique. À travers ce geste, la Charte pousse les États à regarder plus loin que leurs intérêts immédiats.
Enjeux géopolitiques et débats contemporains autour de l’application de l’article 99
La mobilisation de l’article 99 de la charte des Nations unies vient bousculer l’équilibre entre la souveraineté des États membres et la protection collective de la paix internationale. À chaque recours, la légitimité du secrétaire général à intervenir dans ce que certains considèrent comme leur pré carré suscite de vives discussions. Le Conseil de sécurité, là où s’aiguise la géopolitique, doit alors composer avec des intérêts souvent irréconciliables.
Les décisions adoptées sous le chapitre VII, notamment les sanctions, donnent lieu à de nombreux débats sur leurs conséquences. Bien souvent, les populations en subissent les répercussions plus fortement que les gouvernants concernés. Face à ces mesures, des voix s’élèvent parmi la société civile, les organisations internationales ou même des blocs régionaux, mettant en lumière la défiance persistante à l’égard de l’ONU. Certains États refusent parfois d’appliquer ces décisions, invoquant leur droit interne, s’exposant ainsi à une responsabilité internationale. L’article 103 de la charte rappelle que les obligations onusiennes prévalent sur tout autre accord, soulignant la force contraignante du système instauré par la Charte.
Le contexte actuel rend ces enjeux encore plus visibles. Les réseaux sociaux, les médias numériques, les ONG, démultiplient la portée des alertes et amplifient chaque débat. La question de la loyauté dans l’application des décisions du Conseil redevient centrale, tout comme celle de la transparence et du devoir de rendre des comptes. Les situations récentes, comme en Ukraine ou à Gaza, montrent à quel point l’invocation de l’article 99 reste un point de friction, de mobilisation, parfois d’obstruction, là où la géopolitique, le droit et les aspirations citoyennes se rencontrent.
L’article 99 continue de hanter les couloirs des Nations unies. Il veille, prêt à briser le silence chaque fois que la paix vacille.


